lundi 23 mai 2022

Dossier

 


Jacqueline Ledoux


photographies





Jacqueline Ledoux – L’art de l’ouverture

La photographie de Jacqueline comporte une infinie tendresse envers ses sujets. Cette tendresse ne tend jamais vers la mièvrerie, elle va même dans le sens opposé : elle fait prendre de la hauteur avec malice, ironie, humour et, immanquablement, avec poésie. Point de contemplation vaine ici ; la vie, la volonté de dire et de questionner transpirent. Edgar Morin, humaniste centenaire au cent vies – à qui l’on ne saurait pour autant reprocher un manque de constance éthique – dit ceci à propos du fait de mener une vie poétique :

"Ce que j'appelle l'état poétique, c'est cet état d'émotion devant ce qui nous semble beau ou/et aimable, non seulement dans l'art mais également dans le monde et dans les expériences de nos vies, dans nos rencontres. L'émotion poétique nous ouvre, nous dilate, nous enchante". 


La photographie de Jacqueline invite en effet à une respiration, à une ouverture. A une réflexion bienvenue. Où qu'elle soit allée dans le monde, Jacqueline a cherché, traqué et souvent trouvé dans les corps, les regards, les attitudes, les décors, les lieux, les angles morts, dans les revers de manche et les dessous des coutures, un ravissement. Se côtoient dans son regard jubilation et nostalgie. Or, dans ce jeu de dupe, pas de doute, c’est la joie qui l’emporte. 


Willy Ronis disait « La photographie c’est l’émotion ». Elle naît de ce trouble de voir ce qui n’est déjà plus. Nous rencontrons, grâce aux yeux de Jacqueline, des personnages hauts en couleurs, capturés par et dans un objectif bienveillant, et nous nous y attachons. On se demandera alors ce qu’ils sont devenus, où allaient-ils et y sont-ils parvenus ? C’est le rôle que l’on acceptera de jouer. On aura parfois l’impression que ces personnages nous attendaient mais on ne le saura jamais. Il va falloir, littéralement, adopter un point de vue, se contenter d’être témoin privilégié, traverser les apparences, y revenir, pour peut-être faire la lumière sur le mystère.


Anne Yven, Journaliste. Citizen Jazz




ENTRETIEN


Comment vous définissez-vous ?

 Je fais des photos et je suis cueilleuse plutôt que chasseuse d' images. J' essaie  essentiellement de créer une fiction avec des personnages  dans un décor réel que je considère comme un personnage vivant.


L’instant où vous pensez avoir décidé de faire de la photo ?

Enfant, je faisais souvent route vers le Portugal. La traversée des landes, longue et monotone , était le moment où je commençais à m'agiter à l' arrière de la voiture. Mon père a alors trouvé un truc qui a presque trop bien marché .  Il m' a dit que les forêts étaient habitées par des fées et qu' en regardant attentivement,  j' aurais peut-être la chance d' en apercevoir… et ce fut le cas  :  Pendant une fraction dei seconde j'ai perçu une sorte de flash coloré dansant dans le vent d'une clairière…( probablement du linge à sécher mais…) J'ai précieusement gardé cela pour moi, entre peur de ne pouvoir en donner la preuve et désir de secret. Je vois encore cette image fugace qui m'a procuré le sentiment d'avoir assisté à quelque chose d'unique mais sans avoir pu le fixer ! Je crois que je cherche encore des fées dans des forêts monotones.

L’autre déclencheur fut Lisbonne et la lecture conjointe de  “Requiem” d’Antonio Tabucchi . Or, il y a souvent un récit rêvé et incertain sous-jacent dans mes déambulations, qu’elles soient photographiques ou autre.


Partez vous avec une intention ?

Presque jamais. C est le lieu qui me guide. Pour "Bleus de Bress" par exemple, je suis d' abord partie au hasard et ce n' est qu' après plusieurs séances que j' ai trouvé ce fil bleu qui s’est révélé en regardant les photos. Alors je l' ai suivi. 

 Au départ , c' est presque toujours une imprégnation dans un décor qui déclenche un certain type d' émotions. Alors, il y a rencontre… ou pas.   Valparaiso (l’un des trois ports d’ A la veille de ne jamais partir)  a été un coup de foudre dès le premier virage. Entre la ville que j' avais fantasmée et la ville réelle j'ai ressenti une joie qui m'a mise en route . J’y ai trouvé mon espace en suivant des petits bouts d’histoires. C'était aussi une remontée dans le temps d’un Lisbonne qui commençait, lui, à se dissoudre sous les coup des promoteurs et de l' uniformisation. 


Quel moyen de transport  privilégiez-vous

Je me balade à pied sans programme et sans plan, mais j' ai aussi une tendresse particulière pour les transports lents propices aux travellings. Le tram et les bateaux dans les baies ont mes faveurs (Lorient, Naples, Lisbonne, Istanbul..) Cela m' inspire de voir les gens se déplacer  dans des lieux frontières et regarder autour d' eux sans rien de précis à faire. C' est un moment suspendu, passif….enfin, c' était  ainsi avant que tout un chacun ne regarde plus que son portable.


Vous avez fait des études de cinéma, en quoi vous guident-elles  ?

Adolescente je “rêvais cinéma” .Aujourd' hui, je vois souvent la photo au milieu d' autres photos, non comme une série, mais comme partie d' une séquence. J' ai poussé cela à l' extrême pour "Natures du mouvement" qui était construit en phrases/ séquences de 3, 6 ou 9 photos, elles-mêmes séparées par des espaces de silences. Le tout était comme une partition, une bande son muette que chacun pouvait recréer!


Le personnage n’existe que dans un décor, rarement seul et jamais posé, comment  l’expliquez-vous  ? Le décor est le premier personnage, celui qui déclenche une envie et une humeur que le personnage humain va concrétiser ou non. Nous sommes 4 : Le décor, le personnage, mon regard et celui du spectateur car j’ai absolument toujours envie de partager cette rencontre éphémère dès que je déclenche.


Vous pratiquez souvent la mise en abîme c’est un choix réfléchi ou instinctif ? Instinctif ! Mais instinctif veut dire que l’on a absorbé influences et réflexions en amont. 


Les miroirs, l’eau sont autant de reflets que vous exploitez sur le thème du double ? 

  En effet, mais les reflets sont aussi un moyen de perdre le sens pour mieux révéler le sens caché. Parfois je m'y perds moi-même et c' est ce que je cherche puisque je ne propose ni réponse ni affirmation, juste des fenêtres. Ensuite cela transforme et réfléchit la lumière et, comme pour  “ Au lit d’envers” qui réunissait des photographies prises depuis deux rives  puis mises à l’envers, j' aime ces frontières floues, mouvantes, ces éléments qui se mélangent ou se repoussent.


Les personnages sont souvent de dos, pour ne pas les déranger ou/et pour garder le mystère ? Les 2 !  J' aime cueillir un moment que le personnage ne contrôle pas. Je le laisse me surprendre et dans le doute de l' anonymat chacun, moi compris, projette l' histoire qu' il veut sur une silhouette ou un geste dans le décor. Le personnage réel devient alors un personnage de fiction.


La bonne distance pour photographier ?

Je cherche encore ! 


Les peintres qui vous influencent ? Matisse, Matisse et encore Matisse pour la couleur, mais aussi pour son sens très personnel de la perspective et du cadre. Edward Hopper “évidemment” ( c' en est presque gênant ! ) Odilon Redon et Rothko . Mais plutôt que d’influence je dirais qu’ils me stimulent. 

Côté portrait, j' aurais adoré photographier Rosa la rouge de Toulouse Lautrec. 

Beaucoup de photographes m'intéressent, mais luigi Ghiri et Saul Leiter sont comme deux merveilleux anges tutélaires. 


La couleur est omniprésente, vive et chatoyante ?

J ai pratiqué le noir et blanc argentique pendant quelques années.  Le passage à la couleur a tout changé presque instantanément. J' avais trouvé mon élément mais également une façon d' avancer, de progresser. Je rêve en couleur mais je n’oublie pas les gris..


Vous dites vouloir « déshabiller les lieux de trop de beauté », pour ne pas céder à l’esthétisme facile ? La “beauté”cache la beauté. Elle ( en) impose et elle s’y tient. Instinctivement je me retrouve à la périphérie, dans ces lieux qui n' ont pas de centre auprès de personnes qui ne sont pas regardées. On y est plus libre, plus décontracté aussi. Cette beauté là  y est plus lente à se révéler, plus “mixte”, mais elle transforme le regard. La “beauté”, c' est trop pur pour mon goût. 


La bande sons de vos images ?

Pour “au lit d'envers" c'était " chansons des mers froides" d' Hector Zazou. Ce fut l' unique fois où j’ai cherché une musique en résonance avec les images car je préfère rester dans la suggestion en rythmant la mise en page, même si la musique de  Robert Wyatt est probablement au plus proche de ce que je vois. En réalité, les bruits du tram, des bateaux dans le port, les bribes de conversations dans une langue étrangère, le percolateur m' accompagnent… 




Interview réalisée par Bernadette Bourvon, documentariste

















































































                                                                                                

londres, 2014








                                                                          


Licence des Arts du spectacle ( théâtre et cinéma) 

Photographe, correspondante culture pour le Quotidien Le Télégramme de Morlaix ( Finistère) 

Tél 02 98 78 67 27 / 06 17 96 58 55 Jacqueline.ledoux29640@gmail.com


 Expositions personnelles 

- Au lit d’envers ( 1998) Les Moyens du Bord ( Morlaix) biennale d' art contemporain ( Hong Kong)

- Natures du mouvement (2001) Médiathèque de Morlaix. (29) médiathèque Trélazé.(49) Espace Glenmor Carhaix (29) Le Penker Plestin les grèves (22)

- À la veille de ne jamais partir ( 2012) Espace du Roudour St Martin des Champs (29). Bretagne Terre de Photographes. Dol de Bretagne (35)

- Bleus de Bress (2020) Le Mac Orlan. Brest


Publications 


- « Vieilles charrues » par Yves Colin. Coop Breizh . 2011. ( collaboration) 

- Le Monde 2 n° 278 . Juin 2009 . Portfolio « Ces festivals qui font bouger la France » Texte de Stéphane Davet 

-Rock en scène. Ed de Juillet

-Art Rock : De 1983 à nos jours   . Mari Courtas. Ed de Juillet . 2020 

                                                                                            

        Collaborations : 

- photographe officielle du Festival des vieilles charrues ( 2000-2010) 

- Quotidien Le Télégramme ( photographie et rédaction de compte rendus critiques de spectacles )

La Lumbre. Création photo et vidéo pour un spectacle musical

 - Festival " Entrendanse " 

- Danse à tous les étages . Les Créatives.

 - Euphonies.over-blog.com

“La Lumbre” . Création vidéo et photo d’un spectacle musical sur l'exil ( 2003)